
Débats sur la dette
Après l’échec du FMI à imposer une approche multilatérale de gestion des crises financières, toute la question est de savoir si l’institution a perdu de son influence dans un débat où elle s’est frontalement opposée aux marchés privés, aux grands pays émergents et au Trésor américain
Multilatéralisme contre souveraineté des Etats : même en matière de résolution des crises financières, les temps ne sont pas propices à l’approche que voulait voir triompher le Fonds monétaire international. Quatre mois après son échec cuisant à gagner les pays émergents, les créditeurs, ainsi que les marchés de capitaux à son plan, l’institution peine à retrouver ses marques et à ne pas perdre davantage, peut-être même sa crédibilité, dans la débâcle.
L’affaire paraissait, il est vrai, mal engagée depuis le début.
Fin 2001, quand la directrice générale adjointe du Fonds, Anne Krueger a proposé l’idée d’une juridiction internationale qui permettrait aux Etats endettés de restructurer leurs dettes sans se retrouver traînés devant les tribunaux par leurs créanciers du secteur privé, elle a déclenché immédiatement les foudres des fonds émergents. Ces derniers s’inquiétaient, notamment, de voir le FMI s’imposer à la fois comme juge et partie dans le règlement des crises de dette souveraine.
Dans un entretien accordé à L’Agefi l’an dernier, Abigail Mc Kenna, responsable des fonds émergents chez Morgan Stanley, expliquait d’ailleurs qu’« une proposition de faillite dont tous les aspects seraient déterminés à Washington se ferait sans doute au détriment de toute la classe d’actifs ». Elle suggérait alors qu’une meilleure coordination du FMI avec les créanciers privés serait nécessaire pour réaliser un consensus entre les intérêts des Etats endettés et ceux des détenteurs de la dette émergente. Au fil des mois suivants, le FMI semblait avoir suivi la stratégie privilégiée par les gérants internationaux Et au printemps 2002, le numéro deux de l’organisation déclarait : « Nous devrions donner le contrôle des décisions majeures dans le processus de restructuration aux pays endettés et à la majorité absolue des créanciers, pas au Fonds. » Détaillant sa proposition initiale, elle envisageait la mise en place d’un traité international qui pourrait être institué par un amendement des statuts du FMI. La base du mécanisme : isoler les pays en restructuration des risques d’actions en justice, et leur permettre de conserver pendant les négociations l’accès aux marchés de capitaux. « Un Forum spécialisé, logé au Fonds, mais statutairement autonome, devait assurer la coordination entre le pays en défaut et les multiples porteurs de titres », explique Jérôme Sgard, l’un des spécialistes français des crises financières dans une des études qu’il a publiées sur ce thème. Pour ce faire, une supermajorité de créanciers (75 %) devait pouvoir imposer une décision qui aurait été, ensuite, sanctionnée par un jugement.
C’était déjà aller beaucoup trop loin: Car derrière son placide pragmatisme, le plan Krueger dissimulait un trou noir béant d’interventionnisme public dans des contrats privés. Un blasphème pour les fonds émergents, il affichait, de surcroît, la nécessité d’une autorité supranationale, un point qui allait mobiliser toute l’hostilité du Trésor américain et finir par être fatal à la proposition du FMI. Ce printemps dernier, le projet a discrètement sombré dans les oubliettes lors de la réunion annuelle des institutions de Bretton Woods. Pourtant, un malaise demeure. Et périodiquement, le Fonds se retrouve désigné à la vindicte publique par les détracteurs du surendettement émergent. « N’importe quelle proposition pour régler les problèmes de dette souveraine risque d’entrainer une réduction des prêts aux économies émergentes, un changement qui pourrait être fort bénéfique, compte tenu de la culture actuelle de développement basé sur la dette et le surendettement que le Fonds a aidé à encourager », écrivait récemment Anna J.Schwartz. Cette chercheuse associée au Bureau National de la Recherche Economique (NBER) conseille aux pays émergents d’accorder un rôle plus important aux investissements en actions. De son côté, Anne Kruger n’a pas totalement abandonné les armes. Qualifiant de «pas dans la bonne direction », le principe de règle contingente de renégociation – les clauses d’action collectives (CAC) – finalement adopté par le secteur privé, elle a demandé dans son dernier discours : « Est-ce que nos critiques croient sérieusement que, sans nous, les crises financières seraient plus faciles à empêcher ?» C’est, en effet, une question d’actualité. Face au développement rapide des marchés financiers privés, la communauté internationale ne dispose plus que du contrôle unilatéral sur les sorties de capitaux comme dernier recours. Pour Jérôme Sgard, « avoir refusé au Fonds l’autorité juridique d’ouvrir une procédure de faillite pourra certainement justifier, demain, le refus d’accorder au Fonds d’entériner un contrôle sur les capitaux, qui lui aussi interrompt les obligations contractuelles», C’est le principe même de la conditionnalité qui est en jeu : l’expansion des marchés financiers privés n’a pas fini de tester l’absence persistante de garde- fous. ( Extraits)