Dynamique de l’or

C’est avec la crise financière que des millions d’investisseurs aux abois se sont soudain souvenus de l’or et en ont refait une véritable valeur refuge. Entraîné par cette forte demande et une offre restreinte, le prix du métal précieux ne cesse de grimper. De quoi faire réfléchir les investisseurs institutionnels, dans un contexte de faibles rendements obligataires.

Peut-être une ruée sur l’or, mais aussi une certaine leçon de patience. Il fallait six à huit semaines d’attente pour acheter des pièces d’or en Suisse en décembre, une opération qui ne nécessite habituellement qu’un à deux jours. La demande transalpine, la plus forte en Europe, a été multipliée par six au troisième trimestre 2008, pour atteindre 21 tonnes. Pendant cette même période, les achats de lingots des investisseurs dans le monde ont augmenté de plus de 50 %, principalement en Suisse, en Allemagne et aux Etats-Unis. En France, les investisseurs ont plébiscité le Napoléon qui s’est abruptement apprécié en octobre. « Manifestement, il était prévisible dans une crise de cette gravité de voir un accroissement de la demande en or. Ce que nous n’avions pas prévu, c’est son ampleur. En termes de marché de fortune privée, la demande a été phénoménale en Europe où elle a bondi à 50 tonnes au troisième trimestre alors qu’elle est habituellement comprise entre 3 et 7 tonnes. Et c’est la même chose dans le secteur des ETF », souligne Marcus Grubb, Directeur de la Recherche sur les investissements au World Gold Council, une organisation internationale représentant les grandes sociétés du secteur. L’or attire en effet deux catégories d’investisseurs bien distinctes : ceux qui effectuent des achats physiques d’or et ceux qui optent pour plus de liquidité à travers des contrats à terme sur l’or et à travers un instrument financier négociable en Bourse qui replique la performance du cours de l’or, l’Exchange Traded Fund (ETF), un tracker. Même si selon le World Gold Council, certains institutionnels ont été intéressés ces derniers temps par des investissements en lingots, traditionnellement, « ils ont souvent préféré l’or papier à l’or physique qui présente des inconvénients de stockage et d’assurance », observe Jean-Bernard Guyon, gérant du fonds Global Gold & Precious. Là aussi, les chiffres sont éloquents. Les trois derniers mois de l’année dernière, selon les chiffres du World Gold Council, les investisseurs ont acquis 96 tonnes d’or par le biais des ETF, moins il est vrai qu’au trimestre précédent (145 tonnes). Mais c’est en décembre que les plus forts mouvements d’achats ont été enregistrés (44 tonnes). Et les trois premiers mois de l’année s’inscrivent dans la même progression, tant pour l’or physique que pour l’or papier.

La crise financière justifie t-elle un tel engouement ? C’est la difficile question à laquelle vont devoir répondre de nombreuses stratégies d’investissement au cours des prochains mois. Déjà, les partisans de l’or, au premier rang desquels figurent les grands noms de l’industrie sont formels. « Les investisseurs doivent repenser leurs portefeuilles et s’adapter à la nouvelle réalité », clamait début janvier Nick Barisheff, Président du groupe d’investissement canadien Bullion Management en  présentant ses perspectives 2009 à Toronto, « la croissance de la masse monétaire va finir par mener à un déclin du dollar américain, à une forte inflation et aura pour conséquence une augmentation du prix de l’or ». Les institutionnels qui ont pu observer la progression de l’or dans la débâcle générale des cours, y compris ceux des autres matières premières, avant de se retrouver confronter aux rendements plancher dans l’obligataire, sont loin d’être sourds à ces arguments.

«Les refuges classiques, tels que peuvent l’être les obligations d’Etats solides en matière de crédits, ne rapportent presque plus rien ou ont des rendements bas dans une optique à long terme. C’est une incitation puissante à se diversifier dans l’orEt puis, il y a un nouveau risque apparu dans les esprits : c’est celui d’une reprise de l’inflation à terme. On assisterait à un « débasage » général des monnaies qui pousserait à se rabattre vers la monnaie liquide qui est l’or », analyse Jean-Bernard Guyon.

Selon Marcus Grubb, du World Gold Council, l’heure est à la réflexion car chacun sait qu’une fois le cycle inflationniste entamé, il sera trop tard pour diversifier les actifs : « j’ai parlé récemment à deux directeurs de fonds qui ont diversifié en or entre 2 et 5 % de leurs actifs. L’or est de plus en plus conçu dans les stratégies d’allocation comme une valeur de refuge et une police d’assurance contre l’inflation. Dans certains cas, ils pourraient même aller jusqu’à 10 à 15 % de leurs portefeuilles». La barre des 10 % comme assurance contre l’inflation ?  « c’est un chiffre que l’on entend, remarque Jean-Bernard Guyon. Mais je ne pense pas qu’à l’heure actuelle, les institutionnels que ce soit à l’étranger ou en France soient investis en or à ce niveau là car il ne faut pas oublier que c’est un marché extrêmement étroit. L’encours de l’ensemble des ETF connus représentent à peu près 40 milliards de dollars, ce qui n’est pratiquement rien par rapport à l’ensemble des actifs financiers. Il y a un certain nombre d’institutions qui ont certainement pour objectif  de continuer à augmenter leurs investissements en or, mais tout dépendra du prix car il y a un moment où le prix vous décourage. » D’autant que les investisseurs ne sont pas les seuls à s’intéresser à l’or, également actif de réserve derrière toute l’architecture financière globale. Alors que les banques centrales européennes détiennent d’importantes réserves en or, héritage des temps du Gold Standard, les banques centrales asiatiques en ont peu. Elles souhaiteraient étoffer leurs réserves, notamment la Chine. Mais de son côté, le Fonds Monétaire International (FMI), confronté à des pressions de financement, a indiqué son intention de vendre une partie de ses réserves. Or, c’est bientôt que doit être renouvelé un accord quinquennal  encadrant le montant des ventes d’or de plusieurs banques centrales. Dans cette année de transition, le métal précieux a donc vraisemblablement encore de très beaux jours devant lui. Sauf si…  « Un scénario de risque serait que le consensus sur l’économie mondiale et sur le système financier est erroné et que nous sommes déjà sortis du pire de la crise. Dans un tel schéma, le placement en or représenterait un risque car il deviendrait moins attractif que les autres actifs. Mais est ce que c’est vraiment un scénario réaliste ? Pas du tout », affirme Marcus Grubb.

Pourtant, il n’empêche que quelque soit le point de la crise atteint aujourd’hui, certains gérants résistent à signer un chèque en blanc à cette ruée vers l’or. En raison tout d’abord de la ségrégation du secteur. L’an passé, les fonds spécialisés dans les mines ont sous performé par rapport à l’or physique, alors que les producteurs se trouvaient frappés par la hausse des coûts. De même, les liquidations forcées conséquences de la débâcle financière ont beaucoup plus affecté les mines que l’or physique. La prudence est donc de mise, une stratégie particulièrement visible dans les fonds matières premières dont une partie seulement de l’allocation est investie en or. Ainsi, Carmignac Commodities (30 % en or) n’envisage pas d’augmenter fortement cette allocation : « je ne voudrais pas devenir trop négatif sur les autres secteurs de matières premières. On a vu un recul énorme sur les prix, mais le niveau de demande que l’on voit actuellement reflète en fait un cycle de déstockage qui donne une fausse impression. Dans les deux, trois mois, on va voir le restockage commencer et il va y avoir un mouvement violent des matières premières », souligne David Field, gérant du fond. Mi février, l’once d’or s’échangeait encore à New York à 950 dollars l’once, son niveau le plus haut depuis juillet dernier. Un seuil psychologique ? Le lendemain en tout cas, de nombreux investisseurs ont choisi de se tourner vers des contrats de pétrole. L’or noir a gagné 10 % en une séance…