Et la publicité arriva en Chine

Après l’avoir bannie, la Chine redécouvre la publicité depuis le début des années 80. Pourtant, le coup d’accélérateur donné au développement des agences en 1986, à la faveur des réformes économiques, ren­contre des freins puissants. Dans cet im­mense pays de 1,2 milliard de consomma­teurs, l’espace publicitaire continue malgré tout à être très limité…

Non, rien du tout, ni en septembre, ni en octobre, pas moyen, je vous assure qu’il n’y a plus d’es­pace disponible. » Tan Xisong parle à deux télé­phones à la fois et, dans son bureau, cinq per­sonnes attendent. En moins de dix minutes, elle répète vingt fois la même phrase à tous ses in­terlocuteurs, en vérifiant chaque fois la grille des espaces publicitaires posée devant ses yeux. Tan Xisong, une femme menue d’une quarantaine d’années, est très sollicitée par les agences de pu­blicité chinoises. Chef de publicité sur la télé­vision centrale (CCTV, qui chapeaute les quatre chaînes au plan national), elle représente leur unique chance de placer leurs spots dans la tranche du prime time chinois, autour de 19 h 40, juste après le journal télévisé que tout le pays re­garde à 19 heures. Car à partir de 20 heures, dans la Chine profonde, la plupart du temps, on se couche. La concurrence se révèle donc achar­née :

« Chaque jour, soupire Tan Xisong, à un moment où ses téléphones lui laissent un peu de répit, je n’ai que trente minutes d’écran  pour beau­coup de clients, quelquefois soixante; un grand nombre d’entre eux ne peuvent évidemment pas placer leurs spots, alors ils se plaignent. »

80% de croissance l’an dernier

Comme tous les supports chinois, le département publicité de la télévision centrale vit les effets du boom publicitaire que connaît la Chine depuis le milieu des années 80, et plus particulièrement depuis quatre ans. « La croissance du secteur a été très rapide à partir de 1989, mais après le Qua­torzième congrès du parti communiste, en octobre 1992, elle est devenue irrésistible», explique Jia Yubin, secrétaire général adjoint de l’Associa­tion de la publicité en Chine. Depuis le mot d’ordre du parti communiste chinois d’accentuer les réformes économiques, sous le nom d’éco­nomie de marché socialiste, la publicité bénéfi­cie des sollicitations de milliers d’entreprises na­tionales, plus désireuses que jamais d’accroître leur compétitivité. Et pourtant, le développe­ment de la profession a suivi lui aussi une courbe ascendante depuis le début des années 80.

En 1986, il n’y avait que 600 agences, employant 70 000 personnes, dans le domaine de la publi­cité; la Chine compte actuellement plus de 3 000 agences et 180 000 professionnels… Le chiffre d’affaires du secteur, 6,3 milliards de yuan RMB en 1992, encore comparativement modeste (pour mémoire, les investissements publicitaires dans les médias français ont été, selon l’Irep, de près de 49 MdF en 1992), représente une croissance de 80,17% par rapport à 1991. Un reflet évident du progrès économique de la Chine. Les deux grands mo­ments d’expansion de la publicité (1986 et début des années 90) correspondent à des périodes de confiance dans les réformes, d’encouragement à l’activité des entreprises étrangères (1986) et de boom économique. Le début des années 90 a ainsi entraîné un véri­table engorgement des espaces publicitaires de l’ensemble des médias avec, en 1992, des mil­liers de publicités exclu­sivement consacrées à un marché pris d’assaut par les investisseurs.

En dix ans, des entre­prises aux acheteurs, en passant par les produits, une véritable révolution sociologique a boule­versé le comportement des Chinois par rapport à la consommation, et ce mouvement est loin d’être achevé. Ainsi, après avoir vécu des an­nées dans l’idée que, si la publicité était néces­saire dans des pays ca­pitalistes où la compéti­tion fait rage, elle n’a pas lieu d’exister sous une économie planifiée, où la distribution s’or­ganise d’elle-même faute d’abondance, les consommateurs chinois ont découvert le pou­voir de l’argent et de la sélection. « Le grand changement chez les consommateurs, explique Hu Ji Ping, directrice de l’agence Beijing Advertising Corporation (BAC), c’est qu’ils ont beaucoup plus de choix qu’avant. Ils sélection­nent les produits qu’ils préfèrent. L’autre évolu­tion, ce sont les écarts croissants entre ces consom­mateurs. Autrefois, les Chinois se ressemblaient tous parce que les revenus étaient à peu près les mêmes. Maintenant, il y a des consommateurs de­mandeurs de marques connues, françaises, ita­liennes et japonaises, par exemple, et l’on voit des entreprises européennes chercher à entrer sur le marché chinois parce qu’il y apparaît de plus en plus de demandeurs de produits haut de gamme. »

Adopter les armes des concurents Concurrence intérieure, concurrence des marques étrangères, les entreprises chinoises n’ont pas tardé à se décider à utiliser systéma­tiquement la publicité pour garder leurs clients et en gagner d’autres. Celles qui ont été confron­tées à un produit étranger similaire au  leur et im­porté en Chine ont été les premières à com­prendre qu’il fallait utiliser les mêmes armes que le concurrent : « Plus ces entreprises rencontrent de défis, plus elles veulent donner de publicité à leurs produits», dit Han Ziding, le directeur de l’agence Cheval  blanc de Canton. Mais ce n’est pas toujours un processus aisé. « Il existe des en­treprises dont les responsables sont âgés et ha­bitués à l’économie planifiée, c’est pourquoi leur sens de la publicité est limité».

On ne peut pas en dire autant des consomma­teurs chinois qui ont fait de la publicité un élé­ment de leur existence, même si le chemin a été long à parcourir…

( Extrait, 1993)