Globalisation et FMI

Derrière la scène des discussions sur la réforme de l’institution de Bretton Woods…

Au diable le calme feutré des hautes sphères économiques internationales: Après des années de réactions défensives plutôt mesurées aux attaques dont il est l’objet depuis la crise asiatique, le Fonds monétaire international (FMI) est à bout de nerfs. Il est vrai que ses détracteurs ne cessent de ressasser ses insuffisances dans les récents sauvetages financiers, dont celui, raté, de l’Argentine. « La crise asiatique de 1998 a stimulé un débat intensif sur la réforme de l’architecture financière et, en particulier, sur la réforme du FMI. Nous n’en sommes pas encore à la fin du débat, Mais il y a eu d’importants résultats », reconnaissait lui-même au début du mois Horst Koëhler, le directeur général du Fonds. Transparence, surveillance, assistance technique, révision du si controversé « conditionnement » des programmes du FMI, élaboration de nouvelles règles du jeu en matière de standards financiers et fiscaux, évaluation des secteurs financiers et bancaires: les chantiers récemment entrepris par l’institution pour s’adapter à un nouveau style de risques financiers, plus imprévisibles et systémiques, témoignent d’une remise en cause profonde de sa mission. Avec en filigrane, une nouvelle conception de ses rapports avec les pays en besoin d’assistance financière, grâce à des efforts de réforme des conditions des programmes. Ce mea culpa est cependant plus vite formulé qu’appliqué. Derrière les apparences d’un débat académique, c’est en fait à une véritable empoignade que sont en train de se livrer les critiques du FMI et les économistes de l’institution. Sans compter les profonds désaccords qui semblent dorénavant miner les rapports entre le Fonds – orienté vers l’ajustement structurel – et la Banque Mondiale – spécialisée dans les politiques de développement.

Pour ses critiques, toute la question est en effet de savoir si le FMI n’a pas précipité lui-même la crise asiatique : dans un premier temps en encourageant les pays émergents à ouvrir leurs économies aux flux de capitaux étrangers à court terme dans la seconde moitié des années 1990. Dans un second temps, en préconisant comme remède à la crise un relèvement des taux d’intérêt.

Pourtant, s’il a poussé en faveur de la libéralisation des comptes courants, le FMI n’a pas encouragé ces pays à libéraliser les flux à court terme vers le secteur bancaire, ce qui s’est avéré être le talon d’Achille pendant la crise asiatique : «bien des pays ont libéralisé pour leurs propres raisons. La Thaïlande, par exemple, rêvait de voir Bangkok devenir un centre financier international comme Singapour », se rappelle Thomas C.Dawson, directeur des relations extérieures du Fonds. Dès mi-1997, il est trop tard. La fragilité des systèmes financiers asiatiques a attiré l’attention des spéculateurs. Début juillet, le baht thaïlandais est attaqué et, très vite, dans une panique généralisée, la spéculation se porte sur les monnaies des autres économies dAsie du Sud est, poussant la région dans la crise..

En 1998-1999, sévèrement critiqué pour sa gestion de la crise asiatique, le Fonds avait au moins une consolation qui lui permettait de justifier sa politique: l’Argentine, alors championne de la réforme économique et de la stabilisation financière, saluée par tous comme la nouvelle héroïne du monde émergent. Eblouis par la vigoureuse reprise économique du pays depuis 1995, peu de responsables du Fonds voulaient voir les débuts d’une dangereuse dérive des finances publiques et encore moins dénoncer la curieuse propension de Buenos Aires à placer hors budgets des montants considérables d’emprunts gouvernementaux. Pour Michael Mussa, ancien économiste en chef du Fonds, auteur d’une étude récente sur l’Argentine,

«  il était particulièrement gratifiant de pouvoir dire qu’il existait au moins un pays important où le Fonds soutenait des politiques économiques couronnées de succès. Personne au Fonds ne voulait faire le rabat-joie en insistant sur les échecs fiscaux répétés argentins ».

Dans l’attitude du Fonds à l’égard de son premier de la classe émergente, c’est sans doute l’apathie avec laquelle il a traité le programme argentin qui apparaît la plus saisissante. Il est vrai que contrairement aux habituels sauvetages, le programme argentin des années 90 a plutôt été perçu comme un plan d’accompagnement. Mais, déclare aujourd’hui Michael Mussa, cette particularité n’a pas empêché le Fonds de commettre deux erreurs graves : « Ne pas avoir pressé les autorités argentines d’ entreprendre une politique fiscale plus responsable pendant les trois années de croissance exceptionnelle post-1995 et leur avoir accordé un nouveau soutien financier pendant l’été 2001, quand il était déjà clair que les efforts pour éviter un défaut de paiement et maintenir le taux de change fixe n’avaient aucune chance de réussite.» A partir de là, l’Argentine était déjà sur une pente fatale.

Mais elle tient aujourd’hui d’une certaine façon sa revanche. Depuis son défaut de paiement, elle est à l’origine d’un vaste débat sur la nécessité d’accroître la transparence, l’indépendance et la pluralité des opinions au sein de l’institution de Bretton Woods. Certains pensent même qu’il faudrait vérifier s’il est approprié d’attribuer à des pays en difficulté ces méga-programmes à la faveur desquels se développe l’aléa moral. En tout état de cause, la réflexion passe également par une réévaluation du rôle du Fonds face à l’accroissement des capitaux privés dans le financement des économies émergentes, un enjeu crucial des discussions en cours sur les conditions de faillite des Etats surendettés. ( 2002, extraits)