Kung Fu contre viol

Au Kenya, les femmes se battent contre la violence sexuelle omniprésente. Toutes les 30 minutes, l’une d’entre elles,

souvent encore enfant, est violée. Dans une étude de 2009, 68 % des enfants faisaient état de violences sexuelles ( source : « 160 girls » Making Legal History).

C’est dans ce contexte que travaille NoMeansNo, une organisation de volontaires qui apprend aux filles des bidonvilles de Nairobi des techniques d’autodéfense.

Cette transcription est issue du reportage « le Kung Fu contre le viol » ( Copyright People Television) diffusée à partir de fin 2013 dans l’émission Initiative Africa.

 

Une cour de récréation à Korogocho, l’un des bidonvilles les plus durs de Nairobi. Et voici l’entraînement régulier de ces mêmes fillettes à des techniques d’autodéfense enseignées par les volontaires de l’organisation NoMeansNo. Car jusqu’à très récemment, 24 % des filles de ces quartiers étaient victimes de viols. Soit une fille sur quatre. Mais c’est une réalité en train de changer très vite, à l’image de ce qui est arrivé à Elisabeth, 12 ans.

Elisabeth, écolière de Korogocho – Nairobi, Kenya

« Un jour, en rentrant de l’école, un homme m’a approchée et a commencé à m’agripper. Je me suis rappelé de ce que j’avais appris en auto défense et j’ai réussi à le forcer à lâcher prise et à lui donner un coup de coude. J’ai  pris la fuite. »

L’apprentissage d’Elisabeth a reposé sur un entraînement de base de six semaines. Au programme : des techniques d’auto défense, mais aussi tout un reconditionnement psychologique pour apprendre à se mesurer à un agresseur éventuel.

Zainabu HASSAN, Formatrice pour les filles, NoMeansNo, Nairobi, Kenya

«Nous sommes allées partout dans le pays et nous avons constaté que les filles grandissent avec la peur de regarder un homme dans les yeux. Dans notre pays, si elles regardent un agresseur potentiel dans les yeux, il risque de devenir encore plus agressif. Ici, les filles prennent conscience que si elles regardent un homme dans les yeux en lui disant fermement « ne faites pas cela, vous me faites mal », cet homme va avoir honte et finira par s’en aller. »

Le programme NoMeansNo s’appuie sur un département de recherche qui recueille au quotidien des statistiques détaillées après avoir fait remplir des questionnaires aux  jeunes stagiaires. C’est ainsi que l’organisation a compris que l’apprentissage de techniques d’auto défense chez les filles devait aussi s’accompagner d’une prise de conscience chez les garçons. C’est ce qui s’appelle ici « le moment de vérité ».

Collins OMONDI, Formateur des garcons, NoMeansNo

«A Uruma, il y a une école qui s’appelle la Sentry Boys, quand nous sommes allés enseigner là bas, nous avons constaté que les garçons n’étaient pas de mauvais garçons, c’est simplement qu’ils ne savent pas comment réagir comme il faut parce qu’ils ont peur de ce que les autres diront sur eux, ils pensent qu’ils doivent dire : c’est moi, le mec et apparaître comme tel, mais nous savons qu’ils ont une part de tendresse dans leur cœur et un sens moral en eux, nous voulons rallumer cette flamme, nous leur disons de penser par eux même et de décider par eux-mêmes ce qu’ils doivent faire et de soutenir ces femmes.»

Toute la difficulté est d’aborder la question des caractéristiques propres au sexe masculin car les garçons que côtoient Collins et  Walter peuvent devenir des agresseurs sexuels. Mais ils peuvent aussi se retrouver au rang des victimes de viols. Et les statistiques de l’organisation démontrent que seulement un viol masculin sur huit est rapporté aux autorités.

Walter AMADIH, Formateur des garcons – NoMeansNo

«Les hommes ont un certain ego, ils ne veulent pas que l’on sache qu’ils ont été agressés sexuellement par leur proche, que ce soit un oncle, un frère ou même un ami, nous essayons de leur faire comprendre qu’il faut absolument en parler, si ces hommes ne disent rien, personne ne saura que nous pouvons nous aussi être victimes de viols.»

Caroline GITUA, Directrice – NomeansNo – Kenya

« Tout le monde peut être victime d’un viol, le viol ne connaît pas de religion, il ne connaît pas de frontière, il n’a que faire des systèmes de castes ou de classe sociales, c’est pour cette raison que nous pouvons facilement enseigner les techniques d’autodéfense partout dans le monde.»

La triste universalité du viol renforce l’efficacité des techniques développées par No Means No. Pourtant, les ressources de l’organisation sont limitées et quelque fois, les instructeurs en ressentent les effets.

 

Korogocho, un bidonville de Nairobi. L’organisation NomeansNo y offre aux écolières un apprentissage de techniques d’auto défense

 

Zainabu HASSAN, Formatrice pour les filles, NoMeansNo

« Les filles parlent de leur problème et de tout ce qui leur arrive. Cela peut être un père qui les viole depuis des années par exemple. Seulement quand la fille en parle, elle se rend compte qu’elle ne peut plus retourner chez elle car sa propre mère ne veut pas voir ce qui se passe. Ces filles viennent nous demander de l’aide, mais NoMeansNo ne peut leur donner que des techniques. Nous n’avons pas de foyers pour les héberger quand elles ont choisi de parler.»

C’est pourquoi en dépit d’une forte demande extérieure, l’organisation veut se donner le temps et l’expérience nécessaire avant d’essaimer dans d’autres pays d’Afrique. Sa prochaine mission sera encore au Kenya, mais dans un univers radicalement différent: l’immense camp de réfugiés de Dadaab, à la frontière somalienne.

Caroline GITUA, Directrice – NomeansNo – Kenya

«Nous avons vraiment envie d’aller travailler dans les endroits où le taux de viols est élevé. Je crois que la prochaine étape pour nous sera la République Démocratique du Congo. Le Kenya, c’est un peu comme le pays pilote. Ce que les filles apprennent ici avec leurs professeurs pendant les cours et leur entraînement, tout cela peut servir au Congo, en Inde, et là où le viol sévit, partout à travers le monde, dans les villages et les villes.»

Le Kenya, première étape d’une prise de conscience internationale de ce que peuvent faire les femmes, comme les hommes pour la prévention du viol: c’est une chaîne de transmission très puissante qui se dessine dans ces bidonvilles de Nairobi. De ces femmes instructrices, souvent elles mêmes rescapées, à ces adolescentes à peine sorties de l’enfance,  une nouvelle manière de vivre sans peur est en train d’émerger. A Korogocho, les viols sont déjà passés de 24 à 9%, en trois ans seulement.

JRI: Laurence Soustras