Les hedge funds

Les hedge funds ont affronté les mois de l’après crise affaiblis et soupçonnés de contribuer à l’instabilité des marchés. C’est à Londres que s’est organisée la défense d’un secteur qui entend préserver à tour prix ses capacités d’innovation financière.

Peut-être moins de richesse ostentatoire, et encore : la tempête financière qui s’est abattue autour de Curzon Street, dans le quartier de Mayfair, est de celles qui laisse pour le moment des traces discrètes. Les plus de 380 hedge funds domiciliés dans ces environs, le cœur londonien des fonds alternatifs, ont tous souffert, à des degrés divers, ces derniers mois dans le sillage de la tourmente des marchés, de la faillite de Lehman Brothers et des demandes de remboursements des investisseurs. Mais même si les dommages ne sont pas encore tous évalués, il est clair que l’atmosphère est bien différente du climat de bain de sang teinté de fraude qui affecte les hedge funds américains. Dans son bureau de l’Alternative Investment Management Association ( AIMA), le groupement professionnel des hedge funds, la Française Florence Lombard, Directrice exécutive a un outil d’analyse un peu insolite pour sonder le secteur : « Début février, nous avions déjà plus de 60 % de renouvellement de cotisations de nos membres. Sans même effectuer de relance. Pour nous, c’est un baromètre : les managers de hedge funds savent résister et survivre ». C’est un fait avéré que les hedge funds ne s’effondrent pas aussi facilement que la gravité de la crise financière pouvait le laisser penser. Début 2008, Hedge Fund Research dénombrait 10.223 hedge funds dans le monde. 1.300 ont fermé l’an dernier mais l’industrie continue de gérer entre 1200 et 1400 milliards de dollars (contre 2000 milliards à mi 2008).

DES GERANTS PERTURBES

Dès le printemps dernier, avec la chute de Peloton Partners et de Pentagon Capital Management, les 400 hedge funds britanniques et le millier de fonds qu’ils gèrent avaient commencé à payer un tribut aux retombées de la crise des subprimes. D’autres chutes ont suivi, comme celle du fond Modulus Europe de Powe Capital Management qui a dû fermer en septembre. Les plus gros n’ont pas été épargnés. GLG  Partners a vu ses actifs fondre de 40 %. Mais l’ampleur de la déferlante financière semble s’être concentrée sur le centre américain des hedge funds, le Connecticut, laissant Londres subir à un moindre degré les retombées de la crise du secteur bancaire aux Etats-Unis. « La faillite de Lehman a montré que les prime brokers qui sont les dépositaires pour les hedge funds pouvaient entrer en faillite. Les gérants ont été très perturbés par le risque de ne pas pouvoir récupérer leurs actifs… », se souvient Patrick Fauchier, Président du groupe Fauchiers Partners, spécialisé en gestion de fond de hedge funds. Dans la City, ce malaise s’est conjugué à un autre :

« le pire cauchemar pour les hedge funds: on leur a dit qu’ils n’avaient plus le droit de vendre à découvert. C’est comme si on disait à un coureur de continuer à courir après qu’on lui ait coupé une jambe ! »

Aujourd’hui, l’interdiction des ventes à découvert par les autorités financières dans plusieurs pays et qui a été levée en début d’année à Londres demeure un souvenir très amer pour la profession. A l’AIMA, les représentants des hedge funds ont d’abord tenté de jouer le jeu, en dépit de leurs doutes sur l’efficacité de la mesure imposée par les autorités de contrôle. Mais rapidement, la stratégie a semblé encore plus exacerber l’instabilité des marchés : « Toutes les recherches académiques indépendantes qui ont été faites séparément démontrent que la restriction a en fait retiré beaucoup de liquidité des marchés et a créé plus de volatilité, explique Florence Lombard. De surcroît, l’interdiction des ventes à découvert a été levée aux Etats-Unis un mois ou deux avant que ce ne soit levé ici. Donc, il y a eu en plus une dislocation des marchés… » 

UN SECTEUR FINANCIER SUR LE BANC DES ACCUSES

Manque de dialogue, incompréhension mutuelle entre les hedge funds, les autorités régulatrices et les gouvernements ? Il est en tout cas certain que les hedge funds londoniens peinent à faire valoir les résultats des recherches financières sur le caractère protecteur pour les investisseurs des ventes à découvert dans un marché en chute libre. Pire, ils ont le sentiment de se retrouver aujourd’hui sur le banc des accusés d’une crise financière dont ils refusent d’endosser la responsabilité, pointant le rôle des banques dans la débâcle. Lors d’une audition tendue au Parlement britannique fin janvier, Paul Marshall, co fondateur de Marshall Wace a ainsi rétorqué à ses interlocuteurs que

« blâmer les hedge funds, c’est comme blâmer les passagers d’un bus qui vient d’avoir un accident ».

Mais depuis la faillite de plusieurs gros hedge funds américains et l’affaire Madoff, les passagers londoniens du bus donnent l’impression de se trouver en assez mauvaise compagnie. Notamment en raison des différences de régulation entre les hedge funds européens et américains : à Londres, les hedge funds sont tenus d’être approuvés et enregistrés par la Financial Services Authority (FSA) qui supervise au sein d’un département spécial l’activité des 35 plus importants d’entre eux. En contraste, la législation américaine n’impose aucune approbation auprès des autorités financières et en 2006, une cour d’appel a annulé une tentative de la Securities and Exchange Commission (SEC) de réguler le secteur.

C’est précisément autour de l’enjeu de la régulation des hedge funds pour les années à venir que sont en train de se livrer d’intenses manœuvres, dans la perspective du prochain G20 de Londres en avril. Les hedge funds de la capitale britannique se sont préparés de longue date à ce défi puisqu’ils sont déjà une quarantaine, représentant la moitié des actifs sous gestion au Royaume-Uni, à avoir adhéré à de nouveaux standards élaborés en 2007 pour répondre aux inquiétudes du G7 sur un risque financier systémique. Antonio Borges, Président du Hedge Fund Standard Board (HFSB) a une conviction : «  le système de régulation des hedge funds qui existe aujourd’hui avec un encadrement par le régulateur et après toute une série de standards qui sont administrés par nous et vérifiés par les investisseurs, c’est très probablement le système idéal ».

DE NOUVELLES REGLES DU JEU

Ces standards de transparence et de bonne gouvernance, entraînent un lourd travail interne que seuls presque 40 des plus grands hedge funds ont réussi pour le moment à finaliser. « Les normes que l’on est en train de mettre en place exigent un degré important d’indépendance dans la valorisation des actifs. Soit les actifs détenus par les hedge funds sont cotés et c’est le prix du marché qui compte, soit ils doivent être valorisés selon des modèle, des méthodes, des analyses, validées par des entités indépendantes. Un autre domaine très important concerne l’administration des fonds : la comptabilité, les calculs de la valeur des fonds, les rapports financiers faits aux investisseurs doivent être faits par des entités indépendantes.

C’est dans cette direction que l’on évolue très rapidement et je dois dire que si ce type de système était en place partout notamment aux Etats-Unis, on n’aurait pas des cas comme Madoff », souligne Antonio Borges.

Mais les gouvernements européens donnent tous les signes de trouver cette autorégulation du secteur insuffisante. L’une des propositions européennes en vue du G20, soutenue par le gouvernement français, vise à faire assumer l’encadrement de l’endettement des hedge funds par leurs prime brokers. Pour Patrick Fauchier, le cocktail idéal mêlerait étroitement la régulation des marchés, l’adhésion des gérants aux standards HFSB et l’encadrement du crédit au niveau des prime brokers : « les réels gendarmes seront les fonds de fonds. Les quinze ou 20 plus gros fonds de fonds obligeront la profession à adhérer aux standards HFSB », estime t-il. Mais d’ores et déjà certaines grandes banques agissant comme prime brokers, telles Goldman et JP Morgan,  ont commencé de leur propre initiative à restreindre leurs offres de crédit aux hedge funds qu’elles jugent les moins susceptibles de survie, sur la base d’un calcul entre leurs performances de 2008 et leurs rémunérations. D’autres manœuvres sont en cours. Côté régulateur, la Financial Services Authorities (FSA) a proposé d’imposer de manière permanente des normes d’information sur les ventes à découvert (obligation de déclarer les positions à découvert supérieures à 0,5 % sur une valeur). La période de consultation sur ces mesures sera de toute façon close en mai et des changements seront forcément annoncés ces prochains mois.

 

VERS UNE CONSOLIDATION ?

 

Toute la question est donc de savoir comment l’industrie va réussir à s’adapter à ces nouvelles contraintes. Nombreux pensent qu’une consolidation est à l’œuvre, au vu d’éventuelles difficultés pour lever des fonds, des exigences accrues des investisseurs et des fonds de fonds et des moyens toujours plus considérables à mettre en œuvre pour effectuer une due diligence correcte  : « Il y a aujourd’hui deux écoles de pensée qui s’affrontent : l’une, c’est que les plus gros gérants deviendront encore plus grands et qu’il n’y aura moins de petits et l’autre, selon laquelle les gros gérants ont quand même perdu pas mal d’actifs et les petits plus spécialisés, vont survivre, sous forme de boutiques. Donc, on reviendrait presque en arrière là où on était il y a une dizaine d’années. A mon avis, il y aura un peu des deux », analyse Florence Lombard.  C’est surtout dans la structure des fonds que les changements les plus importants sont attendus, avec une plus grande attention à ce que la liquidité du fonds reflète étroitement la liquidité du sous-jacent. L’industrie devrait aussi adapter ses stratégies avec « peut-être un retour à des stratégies que l’on ne voyait plus autant ces dernières années – comme le global macro, comme les commodities, comme les distressed equities », estime t -elle. Un retour en arrière ? C’est bien, selon Antonio Borges, le risque caché de la consolidation et d’une régulation excessive : « c’est au niveau des petits fonds que beaucoup d’innovation se crée et il faut absolument maintenir un environnement dans lequel l’innovation financière puisse continuer à se développer normalement pour être testée par les marchés. » L.S.