Afrique émergente

Les marchés africains ont également été affectés par la crise. Pourtant, de nombreux investisseurs continuent de regarder avec intérêt ce continent riche en matières premières, prometteur en infrastructures et encore très peu défriché par la finance internationale.

Avec ses 5% de croissance annuelle, l’Afrique est-elle toujours la dernière frontière des investisseurs internationaux ? La question se pose avec plus d’acuité que jamais dans la tourmente financière actuelle. Car si ces dernières contrées émergentes ont pu bénéficier de leur relative isolation à l’égard des marchés internationaux et semblent pour le moment échapper à la crise, les bourses les plus développées du continent – celles de l’Afrique du Sud et de l’Egypte – sont aujourd’hui très ouvertes aux influences du reste du monde. Les fortes pressions sur la bourse de Johannesburg ont fini par faire dévisser la monnaie sud africaine, le Rand, alors que les bourses nord africaines se sont montrées à peine affectées par le climat d’extrême volatilité. D’où un premier bilan en demi teinte : « disons que les marchés africains ont moins mal performé », résume Nicolas Clavel, Président du hedge fund Scipion.

Ce banquier de formation, est devenu un véritable baromètre des marchés africains. Et pour cause : il y a un an et demi, il lançait un hedge fund entièrement dédié à l’Afrique, Scipion Capital, enregistré aux îles Caïmans. Peut-être une première dans une industrie financière qui avait jusque là boudé le continent noir, mais pour Nicolas Clavel, la continuation d’un parcours de presque trente ans.

UN PARCOURS AFRICAIN

C’est en effet au milieu des années 70 que ce Suisse originaire de Lausanne commence à travailler dans le secteur bancaire, et plus particulièrement dans le financement du commerce international, y compris en Afrique. Il rejoint bientôt Citi Group Investment Bank, la banque d’affaire de Citi Bank, et y traite notamment des opérations de debt equity swap, où la dette rééchelonnée du Club de Londres de plusieurs pays africains est transformée en capitaux dans certains projets. Il va diriger la banque commerciale de Citi à Dakar et effectuer une étape en Suisse dans le financement des pays émergents avant de revenir en Afrique pour diriger la Standard Bank of South Africa, à Kinshasa. De retour à Genève, il gère les portefeuilles de riches familles de Moyen Orient et d’Afrique qui investissaient parfois dans des bourses africaines. Mais il réalise bientôt les limites des financements traditionnels en Afrique : « je me suis rendu compte que c’est impossible de réaliser ces projets au sein d’une grande banque commerciale, alors que dans le cadre d’un hedge fund, on peut faire des projets, prendre des décisions rapidement et battre la concurrence ».

Il se trouve dans cet état d’esprit lorsqu’il commence à s’intéresser au travail d’un magazine dédié à la finance africaine. Dès 2005, Africa Investor a en effet commencé à développer deux indices boursiers panafricains : l’Ai40 et l’Ai100 regroupent les plus grandes entreprises opérant sur le continent, à commencer par le géant sud africain Anglo American, et cotées sur les dix sept places boursières africaines. Fin 2007, l’année de la naissance de Scipion Capital, la capitalisation de l’Ai100 dépassait déjà les 640 milliards de dollars. Nicolas Clavel qui travaille entre Londres et Lausanne a remarqué un changement dans la perception de l’Afrique chez ses interlocuteurs :

« il y a eu vers 2006-2007 un tournant où tout le monde a commencé à parler de l’Afrique dans la communauté financière, avec un très fort enthousiasme et le sentiment que c’est un territoire qui avait été délaissé. Beaucoup d’entre eux avaient déjà gagné beaucoup d’argent en Inde et en Chine. Certains ont commencé à se dire qu’il fallait prendre un peu de ces bénéfices. Mais pour aller où ? Il ne reste pas grand-chose. Il reste l’Afrique… ».

 

TOUTE L’AFRIQUE EN UNE SIMPLE TRANSACTION EN DOLLARS

 

Nicolas Clavel est prêt : le fond Scipion est lancé en juillet 2007, avec deux compartiments qui pèsent chacun plusieurs dizaines de millions d’Euros. Le premier, dédié aux actions, suit l’indice Ai40 qui regroupe les 40 plus grandes capitalisations du marché du continent. Soit 250 milliards de dollars. « J’ai voulu voir si on pouvait investir dans cet indice, explique Nicolas Clavel, et vu qu’ils cherchaient un partenaire, je leur ai offert qu’ils me donnent une licence qui est maintenant exclusive pour que nous répliquions l’indice. Car il faut savoir que la plupart des banques occidentales ne sont pas équipées pour permettre aux investisseurs d’accéder aux marchés des bourses moyennes africaines. Et là, nous avions la possibilité de donner aux investisseurs l’opportunité d’aller dans toute l’Afrique en une simple transaction en dollars. »

L’Ai 40 regroupe les valeurs les plus liquides du continent, avec une prédilection pour le secteur financier et les télécoms. De quoi séduire la cible privilégiée de Nicolas Clavel : « c’est un produit que j’ai créé en pensant particulièrement aux investisseurs privés qui font de l’allocation d’actifs. Genève est la capitale de la banque privée et typiquement, les banques privées recommandent à leurs clients très riches d’avoir un pourcentage x de leurs actifs sur les marchés émergents…L’objectif de l’indice est de prendre une petite partie de cet argent dédié aux marchés émergents et de le mettre sur l’Afrique ». Le deuxième fond lancé le 1er août 2007 est quant à lui un fond de commerce international dédié au financement du commerce international avec l’Afrique, particulièrement axé sur les matières premières, notamment agricoles. « Quelque soit le niveau de la crise, les gens ont besoin de fumer, de boire du café et de consommer de la nourriture. Donc, c’est un fond qui a été positif tous les mois pendant ses 15 premiers mois d’expérience », résume Nicolas Clavel.

 

DES INVESTISSEURS ACCROCHES AU LONG TERME

 

Mais cela ne veut pas dire que la tourmente financière de l’automne aurait miraculeusement épargné l’Afrique. L’Ai 40 a souffert, et avec lui, le premier compartiment de Scipion, le fond indiciel, qui lui est corrélé. De janvier à fin septembre, la performance avait déjà décliné de 29,53% et le chiffre à fin octobre est bien pire, puisque l’indice a perdu 43 % depuis le début de l’année. Par contraste, le troisième compartiment de Scipion, lancé en mai dernier, représente un portefeuille d’actions africaines géré activement : hors Afrique du Sud et Egypte, et bénéficiant d’une couverture de change pour réduire, quand cela est possible, le risque à l’égard du dollar. Il se concentre, explique Nicolas Clavel, « sur les marchés moins corrélés avec le reste du monde, plus difficiles d’accès et où nous avons une approche qui se spécialise sur les compagnies qui ont bénéficié de l’augmentation du pouvoir d’achat de la population à la base de la pyramide. Les domaines que nous avons identifiés sont dans un premier temps, les télécoms, la téléphonie mobile».

Les investisseurs de Scipion, en grande majorité des fortunes privées, ont choisi de croire à ce pari et font le gros dos dans la crise: « l’investisseur privé, s’il croit dans l’histoire à long terme, il reste, souligne Nicolas Clavel. D’une manière générale, pas plus de 10% de nos investisseurs envoient des mails ou ont besoin de recevoir des explications, ce qui est très peu, en fait, dans les circonstances actuelles». Après un an et demi d’existence, Scipion dispose aujourd’hui d’un peu plus de 100 millions de dollars. ( 2009)

L.S.

L’Afrique repense son développement: les débuts du NEPAD.

Les flux d’investissements privés sont perçus comme une nouvelle alternative à l’aide et aux crédits

Sortir du « binôme infernal du crédit et de la dette »: le président du Sénégal Abdoulaye Wade a tenté hier d’ouvrir une troisième voie pour échapper à ce qu’il a qualifié d’échec au bout de trente ans de politique de transferts gouvernementaux et quarante ans de crédits. « Le mode de financement public complété par les crédits est arrivé aujourd’hui dans une impasse qui nous amène à réechelonner des dettes qui engendrent des intérêts, de sorte que nous sommes endettés à 80 % de notre PIB. Nous travaillons pour payer, et plus nous payons, plus nous sommes endettés ». Dans ces conditions, la marginalisation de l’Afrique « n’est pas un thème », a-t- il souligné devant un parterre de représentants du secteur privé international, « c’est une réalité ».

C’est donc avant tout pour discu­ter des moyens concrets de parvenir à bâtir une alternative viable à cette spirale qu’une dizaine de chefs d’Etat africains se sont retrouvés hier à Dakar pour deux jours d’une conférence consacrée au Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique, ou Nepad. L’idée, née en 2001, de la fusion de deux pro­jets africains de relance écono­mique (les plans MAP – Millenium African Program – et Oméga), est d’ancrer le développement à un équilibre plus complémentaire des capitaux publics et privés, un impé­ratif qui devrait être assorti de garanties de meilleure « gouveman­ce » et d’avancées dans les secteurs de la santé et de l’éducation. Saluée en juin dernier au Sommet de Gênes par le G8, l’initiative est en train de passer le difficile test de la crédibilité: les consultations de Da­kar doivent aboutir à la mise en pla­ce d’un cadre de coopération qui se­ra soumis au G8 lors du prochain sommet, prévu en juin 2002 à Ka­nanaski (Canada).

De nombreux
dirigeants africains absents

Cela n’a pas empêché la conférence de débuter sur plusieurs désistements. Alors qu’une vingtaine de chefs d’Etats et de gouvernements africains étaient attendus à Dakar, les trois co­fondateurs de cette initiative africaine, le président du Nigeria Olusegun Obasanjo, également président du Comité de mise en oeuvre du Nenad qui devait ouvrir la conférence, le président Thabo Abeki d’Afrique du Sud et le président algérien Abdel Aziz Bouteflika, manquaient à l’appel. Ni le président du Ghana ni celui de l’Ouganda n’étaient dans les rangs de l’assemblée. C’est donc presque exclusivement des responsables politiques d’Afrique francophone qui ont fait face durant ces deux journées de rencontre, hier et aujourd’hui, à 900 représentants du secteur privé, environ 200 en provenance des Etats-Unis et d’Europe. Pour autant, la conférence s’est rapidement axée sur les « signes d’espoir » que représente le Nepad.

« Nous pensons que le temps de l’Afrique est arrivé, les dirigeants africains inventent une nouvelle révolution et le continent est en train de devenir une destination des investissements. Soyez-y attentifs », a conseillé aux investisseurs Wiseman Nkulhu, président de la commission de mise en oeuvre du Nepad.

Pour ce faire, a insisté Calisto Madavo, vice- président de la Banque Mondiale, les pays africains auraient intérêt à se concentrer sur « quelques initiatives qui pourraient facilement être réalisées et leur permettraient de prouver leur crédibilité ». Améliorer les règles de bonne « gouvernance » et initier un véritable commerce inter-régional en parvenant notamment à réduire les coûts transfrontaliers sont les premières priorités auxquelles pourrait s’attaquer le Nepad, a souligné le responsable de l’organisme multilatéral. « Les investissements viendront d’autant plus facilement que l’intégration régionale sera forte et réussie », a renchéri Michel Roussin, le président du Medef, insistant particulièrement sur les projets d’infrastructure. Toutefois, a-t-il précisé, « la réalisation de tels projets n’est plus réalisable dans le seul cadre public et il devient nécessaire de déléguer certaines gestions d’infrastructure à un partenaire privé dûment choisi, permettant à l’Etat de dégager des fonds pour se permettre des dépenses que lui seul peut assurer ». Redonnant à l’Etat les ressources nécessaires à la santé et à l’éducation, ce partenariat public/privé est appelé à devenir un véritable outil de développement. Cependant, a tenu à rappeler Zepherin Diabre, administrateur au programme de développement des Nations Unies, « l’Afrique ne pourra pas se passer de la générosité des pays riches pour lesquels nous continueront à nous faire la voix du continent ». Trois initiatives – des forums d’investissements, des programmes de soutien à des Bourses de valeurs africaines et une aide destinée à aider les pays du continent à gérer leurs notes de rating – sont prévues pour aider l’Afrique à entrer dans sa nouvelle étape de développement. ( Avril 2002, l’Agefi)

 

L’Afrique ne veut plus des flux publics comme seule source de financement: Le continent noir s’accroche à une nouvelle initiative de développement régional

Est ce l’heure de ce réveil, tant attendu, pour l’Afrique ? Alors que l’année 2001 avait marqué un tournant dans l’approche au développement du continent avec la fusion d’initiatives régio­nales dans un plan de relance, le Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (New Partnership for Africa’s Deve­lopment ou Nepad), cette vision commune commence à s’imposer comme un choix d’avenir incontour­nable. L’émergence d’une nouvelle génération formée dans les campus occidentaux y est pour beaucoup. Aujourd’hui, ces trentenaires diplô­més de grandes universités inter­nationales, font la critique ou­verte d’un système héritier d’une époque où « les économies afri­caines étaient considérées com­me des appendices des métro­poles ». Comme l’expliquait la semaine dernière Abdou Aziz Sow, délégué général pour le Nepad à la Présidence de la Ré­publique du Sénégal, de passage à Paris pour un séminaire, « la même logique a perduré après l’indépendance : on a conçu le développement avec des moyens et des instruments – aide, sub­ventions, dons – qui n’ont pas cours ailleurs ».

Pour sortir de ce dilemme, cet ex­pert-comptable qui a fait ses études en France et a abandonné sa pra­tique pour entrer en politique, ne voit qu’une issue: l’abandon de la dépendance massive aux flux pu­blics:

« Si nous ne pensons le développement de l’Afrique qu’avec des flux publics, nous pouvons plier nos bagages et faire de l’Afrique une zone exotique. Car il n’y a aucune possibilité de dévelop­pement de ce côté là ».

Si la solution au sous développement de l’Afrique n’est pas dans l’accroissement de l’aide publique, il pourrait l’être dans l’expansion des exportations. A cet égard, les Occidentaux tentent des initiatives encore trop récentes pour que la portée puisse en être évaluée. De­puis juin 2000, l’accord de partena­riat de Cotonou entre l’Union euro­péenne et 77 pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique ( ACP) prévoit le maintien jusqu’au 31 décembre 2007 de préférences tari­faires pour les importations en pro­venance de la zone ACP. Depuis fé­vrier 2001, l’Initiative européenne « Tout sauf les armes » prévoit que les pays les moins avancés (PMA), soit 34 pays d’Afrique subsaharienne sur 48, disposent d’un libre – ac­cès au marché communautaire pour toutes leurs exportations, à l’exception des armes et munitions. Quant aux Etats-Unis, ils ont lancé en mai 2000 une initiative d’ouver­ture de leurs frontières aux pro­duits africains en fixant une liste de 35 pays d’Afrique subsaharienne éligibles à l’African Growth and Op­portunity Act ( AGOA). L’initiative permet à ces pays de bénéficier d’un accès hors droits de douane et quotas pour un grand nombre de produits, représentant plus de 1.800 positions tarifaires. Toute­fois, les produits du secteur textile demeurent soumis à des quotas, sauf s’ils sont fabriqués à partir d’intrants provenant des Etats- Unis. C’est dire que la prudence règne et que, conscients des limites de ces concessions commerciales, les Etats africains préfèrent miser sur les flux privés. ( Avril 2002, l’Agefi)