Rites du pouvoir chinois

Transmission de pouvoir, façon parti communiste chinois, à la fin des années 90 : un an après la disparition de Deng Xiaoping, les quelque 3.000 députés de l’Assemblée nationale se réunissaient à Pékin. L’enjeu : se prononcer sur une vaste réforme de l’administration et, surtout, avaliser deux changements fondamentaux au sommet de l’Etat : le Premier ministre, Li Peng, arrivait en fin de mandat et le président de l’Assemblée se retirait de la politique. Zhu Rongji, principal artisan de l’atterrissage en douceur de l’économie chinoise, allait prendre la tête gouvernement.

La Chine s’apprête à tourner officiellement une nouvelle page de son histoire. L’expression n’est pas trop forte. Le Parlement se réunit demain pour entériner solennellement le choix d’une nouvelle équipe dirigeante et pour lancer un vaste programme de refonte de l’administration. Pékin espère ainsi mieux maî­triser la transition économique mais prend, du même coup, des risques redoutables : la restruc­turation du secteur d’Etat s’annonce d’une ampleur himalayenne aux conséquences so­ciales totalement imprévisibles. La multiplicité et la complexité des forces en présence ne facilitent pas la tâche des successeurs de Deng Xiaoping.

Autant dire que lorsque les 3.000 députés chinois pénétreront à l’Assemblée nationale, place Tiananmnen, ils auront conscience de vivre un moment solennel. Première session parle­mentaire depuis le Congrès du Parti commu­niste chinois, à l’automne dernier, cette assem­blée nouvellement élue doit en effet entériner des dispositions essentielles pour la poursuite des réformes : avaliser la sélection des hommes et des femmes qui vont diriger le gouvernement pendant cinq ans ; se prononcer sur une réorga­nisation à grande échelle de la haute adminis­tration.

Comme on peut s’en douter, les choix ont déjà été minutieusement préparés par les ins­tances du Parti communiste. Mais il appartien­dra aux députés de les adopter selon un suffrage direct et secret. A commencer par la nomina­tion des successeurs des titulaires des deux postes les plus importants de la hiérarchie chinoise : celui du Premier ministre, Li Peng, qui doit abandonner ses fonctions après 2 man­dats, et celui du président de l’Assemblée nationale, Qiao Shi, malade et éliminé du bureau politique au cours du dernier Congrès du parti.

Un jeu de chaises musicales

Voilà des mois que les étranges jeux de pouvoir à Zhongnanhai, le complexe clos où vivent et travaillent les dirigeants à Pékin, alimentent la chroniquedes observateurs chinois et étrangers de la vie politique du pays.  Pourtant, bien peu se hasardent aujourd’hui à mettre des noms sur tous les postes dans le silencieux bouleverse­ment politique et administratif qui accompa­gnera le mouvement au sommet. Dans le jeu de chaises musicales qui se prépare, il existe pour­tant quelques éléments de certitude.

D’abord, le départ de Li Peng de la tête du Conseil des affaires d’Etat qu’il dirige depuis 1987 devrait s’accompagner d’un simple trans­fert de fonction. On lui prête l’ambition de remplacer, à la tête de l’Assemblée nationale (APN), Qiao Shi, qui prendrait tout simplement ..sa retraite. Le vice-Premier ministre, Zhu Rongji, principal artisan de l’atterrissage en douceur de l’économie chinoise, est, pour sa part, le candidat favori au poste de Premier ministre.

Ce schéma permettrait à l’homme fort du régime, le président Jiang Zemin, de conserver la maîtrise du jeu politique entre Li Peng, qui demeurera en tout état de cause le numéro deux du bureau politique, et Zhu Rongji, dont le tempérament n’a jamais été celui d’un haut fonctionnaire docile.

 Une petite marge d’imprévisibilité

Mais on aurait tort de croire que la session plénière de l’Assemblée n’est qu’une simple formalité. Certes, ce fut longtemps le cas. Les votes des députés sur la désignation de hauts personnages étaient par tradition une parodie de démocratie. Depuis trois ans, les choses ont commencé à bouger. Et aujourd’hui, on peut parler d’une certaine marge d’imprévisibilité. Il faut reconnaître que l’Assemblée nationale est constituée d’un ensemble mal assorti de mili­taires, de représentants des minorités vêtus aux couleurs de leurs ethnies, d’ouvriers modèles, de paysans et de bureaucrates, ils sont, dit-on, arrivés ces jours derniers à Pékin avec des opinions bien arrêtées sur ce qu’ils attendent du personnel dirigeant. Déjà en 1995, à la surprise générale, nombreux s’étaient mis en tête de- se servir des systèmes de votes électroniques se­crets, installés depuis peu, pour manifester leur mécontentement vis-à-vis des vice-Premiers mi­nistres que Li Peng entendait leur imposer.

Aujourd’hui, les députés ont des idées plus précises encore sur les droits des provinces, explique Cai Dingjin, du centre de recherche du Parlement. Ils ont leur opinion sur le profil souhaitable des dirigeants et ils entendent appré­cier par eux mêmes si les personnalités politiques qu’on leur présente sont vraiment qualifiées. Auparavant., ils ne se seraient jamais posé la question. Mais depuis les récentes affaires de corruption, ils y regardent à deux fois avant de se prononcer. Et quand un haut dirigeant insiste lourdement pour appuyer son candidat, s’ils sont mécontents, ils votent contre . L’Assemblée de­vient parfois difficile à contrôler. »

De nombreux observateurs de la vie politique chinoise font le même constat, tout en relativi­sant sa portee. Pour eux, l’assemblée n’a pas encore conquis un véritable pouvoir de décision : « Certes, les députés ne sont plus tout à fait des potiches, explique Wang Dadong, un juriste francophone, ancien étudiant de l’ENA. Cer­tains sont devenus plus ouverts, plus libéraux, voire plus impertinents. Maïs la majorité reste disciplinée et même si l’Assemblée a pu jouer un rôle ces dernières années en votant certaines lois importantes, elle ne dispose, encore que d’un embryon de pouvoir. »

Conscients de l’image peu flatteuse que donnent leurs institutions à l’étranger, les juristes chinois multiplient les études et les propositions pour renforcer le rôle législatif de l’Assemblée : « De nombreuses difficultés doivent être surmontées pour établir un système législatif fiable mais il faut comprendre que la tradition chinoise en ce domaine est très éloignée des pratiques occiden­tales, admet Zhou Wangsheng, professeur de droit à l’université de Pékin. Aujourd’hui, il est vraiment urgent d’imposer un Etat de droit. Cela passe notamment par une définition précise des prérogatives du gouvernement. »…

( Extraits, 1998)